La Récompense, C’est Votre Conscience Jouissant
de  Sa  Dignité et de Son  Pouvoir  Sur  Elle-même
 
 
Jean des Vignes Rouges
 
 
 
 
 
Note éditoriale 2024:
 
Ces paroles d’un Maître semblent résumer le problème pratique de la recherche de la sagesse spirituelle:
 
«On vous a dit (…) que le sentier des Sciences Occultes doit être foulé péniblement et traversé au péril de la vie ; que chaque pas nouveau conduisant au but final est environné de trappes et de cruelles épines ; que le pèlerin qui s’y aventure doit d’abord affronter et vaincre les mille et une furies qui montent la garde devant ses portes adamantines et son entrée – furies qui s’appellent : Doute, Scepticisme, Mépris, Ridicule, Envie, et finalement Tentation – surtout la dernière ; et que celui qui veut voir au-delà doit d’abord détruire ce mur vivant ; qu’il doit posséder un cœur et une âme bardé d’acier et une détermination de fer qui jamais ne succombe, et cependant être doux, humble, paisible, et avoir rejeté de son cœur toute passion humaine qui conduit au mal.» (Lettres des Mahatmas, Editions Adyar – Paris, 1970, 613 pp., p. 408.)
 
Dans plusieurs de ses livres, Jean des Vignes Rouges réalise des études notables sur le fonctionnement pratique de ce processus.
 
Le texte suivant est un exemple.
 
(Carlos Cardoso Aveline)
 
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Effort – Comment on Résiste à une Tentation
 
Jean des Vignes Rouges
 
Aujourd’hui, la tentation vous assaille! Sous quelle forme? Pour l’imaginer, je n’ai que l’embarras du choix. Tant de sollicitations brutales ou insidieuses invitent un homme à méconnaître son devoir! Envie d’esquiver un travail, appétit pour une sensualité inopportune, incitation à la paresse, à la colère, à l’avidité. Qui sait! Peut-être même un entraînement à commettre une action répréhensible.
 
Vous pouvez combattre une tentation en lui refusant votre attention: c’est-à-dire en repoussant toutes les idées et images qui s’y rapportent. Cette tactique du: «n’y pensons plus» est souvent la meilleure. Mais elle n’est pas toujours applicable. Parfois la tentation s’impose brutalement, bouscule toutes les digues qu’on lui oppose et, une fois installée au centre de l’âme, ricane victorieusement en attendant qu’on la satisfasse. Son assurance insolente est exaspérante. Dans ce cas, il faut donc se colleter avec elle. Cela, en langage psychologique, signifie: «faire effort». Que va-t-il se passer?
 
D’abord songez à votre corps. Tous les psychologues modernes sont d’accord sur ce point: la sensation psychologique d’effort est le retentissement, dans notre conscience, de certaines modifications de notre organisme. Même quand notre effort paraît appartenir au pur domaine des abstractions, il est la traduction de tressaillements, de frémissements, d’esquisses de mouvements, d’élans contenus qui ont leur siège dans les muscles.
 
D’ailleurs, vous le sentez bien, Quand il s’agit de prendre une résolution, même à échéance lointaine, vous vous con- tractez en jurant: «J’accomplirai demain sans faute cette visite ennuyeuse!» Et déjà vous vous ramassez pour bondir vers le futur.
 
Il en résulte que lorsque vous vous proposez d’exécuter un effort volontaire, vous devez commencer par prendre une posture favorable. Si vous voulez affirmer votre personnalité, ne vous asseyez pas en équilibre sur le rebord d’une chaise comme font les timides; carrez-vous plutôt dans un bon fauteuil; les idées et sentiments convenables surgiront plus facilement.
 
Avez-vous à décider de l’opportunité d’un voyage? Il se peut que vous ayez de bonnes raisons de le faire et d’autres, non moins bonnes, de vous abstenir. Pour prendre une décision éclairée, facilitez votre effort de réflexion en alternant les postures d’activité et de repos. Marchez de long en large, puis étendez-vous sur un divan; puis reprenez votre marche. Vous donnez ainsi impartialement la parole à des tendances opposées. Si vous restiez alangui sur votre chaise longue, il est fort probable que les images d’abstention surgiraient plus abondantes.
 
Vais-je commencer ce travail, vous demandez-vous avec perplexité? S’il s’agit d’une besogne matérielle, ne laissez pas pendre vos bras inertes, ils dicteraient à votre cerveau une réponse négative. Ne vous contractez pas trop non plus, car vous risqueriez d’être incliné à entreprendre une tâche au-dessus de vos forces.
 
Dès que la nécessité d’accomplir un effort s’impose à vous, songez donc à l’attitude de votre corps et, «rectifiez la position». C’est bien d’ailleurs pour cela que le règlement militaire ordonne au soldat de se mettre au garde-à-vous pour recevoir un ordre; ainsi il se prépare à l’effort d’obéir.
 
Examinons maintenant l’aspect moral du phénomène, la conscience que vous en prenez.
 
Pour simplifier la question, admettons que votre effort vise à chasser une tentation. Ce n’est pas une petite affaire! Vous vous sentez tiraillé, écartelé par l’hésitation, tendu vers une idée qui sera une décision, mais dont vous ignorez encore le visage. En vous, il y a des forces qui poussent, d’autres qui résistent; on y discerne même un spectateur qui tantôt blâme, tantôt applaudit. Au total, cela fait un tohu-bohu d’idées, de sentiments, d’élans, de coups de frein, de raidissements, d’abandons «Non, je ne céderai pas!», «Allons, ne fais pas le malin!… Viens donc, on va s’amuser!…»
 
Pour ordonner tout ce chaos, songez alors que tout ce drame est une scène entre un supérieur et un inférieur, un chef et des subordonnés. Le chef, c’est l’impression qu’il faut accomplir le devoir, c’est-à-dire ce qui serait bon, bien, chic! Cela s’impose à vous comme une évidence, un impératif.
 
Des psychologues affirment que c’est la société qui a déposé en nous ces «impératifs sociaux», grâce à l’action de la morale, de la religion, de l’éducation, du langage, des livres, des journaux, du cinéma, etc. Nous vivons dans un monde de suggestions sociales dont nous sommes imprégnés sans même que nous nous en doutions. Quand nous affirmons véhémentement nos droits d’individu, bon gré, mal gré, nous nous servons de notions que la société nous a subrepticement imposées. Il en résulterait, d’après l’école sociologique, que l’idée de devoir – ce chef qui commande en nous – est le représentant de la société. Nous verrons, à une autre occasion, que cette conception n’exprime qu’une partie de la vérité; en ce moment, elle nous aide, acceptons-là.
 
Les subordonnés, eux, représentent toutes les passions, impulsions, instincts, idées, désirs qui se sentent contrecarrés dans leurs appétits par le chef.
 
Vous devinez ce qui va arriver? Un conflit! Le chef, qui parfois se présentera sous son vrai nom: Devoir, ordonnera et les subordonnés «rouspéteront». Il faut reconnaitre d’ailleurs que parfois le chef commande bien mollement. Il se manifeste par un vague sentiment d’obligation. Il dit bien: «tu devrais faire ceci et cela», mais d’une voix si faible qu’on l’entend à peine. Cependant il a tout de même une qualité, ce chef, faible ou fatigué, il est tenace, têtu même; sempiternellement, il répète sans se lasser : «Tu dois!» Ça devient lancinant!
 
Et c’est précisément parce qu’il ne veut pas abdiquer que vous éprouvez le sentiment d’effort. En vain les subordonnés essaient de couvrir la voix du patron de la clameur de leurs revendications, celui-ci continue imperturbablement à prononcer : «Tu dois… Tu dois!»
 
A la longue, vous prêtez l’oreille. Ce chef, après tout, a peut-être raison. Votre sentiment d’effort s’accentue. Profitez de ce moment de lucidité pour essayer de préciser en votre imagination la forme du chef.
 
Là, au premier plan, vous le voyez bien en chair et en os, si j’ose dire. C’est un visage grave, sérieux, un peu austère, rigide même; mais tellement sympathique! Il ressemble un peu à votre père. Par instant, il vous semble l’incarnation de tout votre passé d’honnête homme, de vos élans vers le mieux, de vos promesses morales, enfin de tout ce que vous avez accepté comme un idéal  hautement désirable, et qui a obtenu l’approbation de votre famille, de vos voisins, de vos amis, de tout le monde.
 
Vraiment, vous ne pouvez pas lâcher comme ça ce personnage si intéressant! Il faut vous porter à son secours, l’aider à tenir tête à la meute des subordonnés plus ou moins mutinés.
 
A peine cette idée vient-elle de traverser votre esprit que des mots surgissent en votre mémoire: «Si je ne fais pas mon devoir, sûrement que je le regretterai, j’en aurai du remords: Ça m’empêchera de dormir! …»
 
Bravo! Je vois que le chef a, en vous, plus d’autorité que vous ne le supposiez. C’est l’effort qui s’accentue. Mais les subordonnés grognent et protestent. Le chef alors, qui se sent devenu une autorité supérieure, parle plus haut, il précise ses ordres, il s’adresse à tous les sentiments, idées et images qui constituent la tentation et les «engueule» ferme: «Vous n’avez pas honte! Vous voudriez m’entraîner à commettre cette lâcheté! A abandonner cette tâche commencée! … Eh bien, je ne marche pas!». A ce moment-là, l’effort devient pénible…
 
Ah! Bien sûr, tout ce drame ne serait pas produit si, chez vous, le chef – le sentiment du Devoir – avait été tout puissant? Mais hélas! Les consciences humaines sont ainsi faites, il y a toujours chez elles, une «foule» prête à gronder et à se rouler dans l’anarchie!
 
Acceptez donc courageusement la situation. Epongez votre font en sueur, et continuez l’effort.
 
Maintenant, le chef s’emploie à surmonter les résistances. Il expose sa volonté, son plan, aux tendances subordonnées. Il leur explique que ses exigences sont, en somme, très raisonnables et dans le fond, le meilleur moyen de procurer le plus grand bonheur possible.  Certaines révoltées grognent encore dans les coins; le chef les surveille sévèrement; leur montre le fouet. Par contre, il stimule, il encourage celles que devraient entrer en action, il excite aussi celles qui dormaient et qui peut-être pourraient donner un coup de main.
 
C’est alors l’évocation en votre esprit de toutes les images qui favorisent l’œuvre du chef: «Il faut bien travailler, accomplir cette tâche, repousser cette tentation. Ah! Ce n’est pas très rigolo! Mais il y a tout de même des avantages! … Pas de remords d’abord. Et puis, j’y gagnerais ceci, cela, de l’argent ou l’estime de mes voisins. Et puis quoi, il le faut! …»
 
C’est le chef qui par ces soliloques intérieurs appelle à lui ses fidèles: les états d’âme capables de le soutenir. Parmi eux, au premier rang, se trouvent les raisons qui l’ont contraint à élever la voix et à prendre le commandement. Car enfin, cet effort que vous êtes en train de faire, ne surgit pas du néant; il a une histoire, c’est la nécessité intérieure, ou extérieure, qui l’a déclanché; il fallait prendre parti, dire oui ou non, mater une tendance indésirable. Ces «bonnes raisons» ne doivent pas s’évanouir de peur devant les grondements de la meute en révolte. Elles doivent même passer en avant, s’exposer aux coups.
 
C’est ainsi que l’effort se répercute en vous sous la forme d’appels, d’exhortations, de menaces même. Tout votre organisme est en tumulte. Vous fermez les yeux pour ne pas laisser échapper le fluide volontaire [1] qui s’accumule là, derrière votre front, et va éclater en décisions.
 
Si la victoire du chef paraît incertaine, alors faites donner la garde. Tirez votre carnet de volonté [2] de votre poche; c’est le chef qui vous dicte ce geste. Sur ce carnet, vous avez inscrit jadis vos résolutions les plus graves, vos promesses les plus solennelles, votre idéal y est formulé en phrases qui palpitent encore de l’émotion qui vous les fit transcrire.
 
Eh bien! Ce carnet, c’est la Règle, la Loi. Il indique le droit chemin. Le chef s’en empare, il le brandit triomphalement. «Vous voyez, crie-t-il, voilà le règlement. Vous devez obéir!» En effet, dans ce carnet, il est dit, noir sur blanc, qu’il faut être travailleur, courageux, honnête, modéré, juste, bon, énergique, etc.
 
Ah! Je sais bien que les subordonnés ergoteront, ils prétendront que le cas présent est une exception non prévue par le règlement, mais vous ne les laisserez pas développer leurs sophismes de justification, leurs raisonnements tendancieux. Appelant la raison à la rescousse vous dénoncerez impitoyablement les erreurs d’appréciation, les jugements faux, les tromperies et astuces verbales par lesquels le vil troupeau espérait surprendre votre bonne foi. Non, toutes ces plaidoiries tortueuses d’avocat marron ne vous aveugleront pas. Bon gré, mal gré, vous prononcerez le verdict: le chef a raison!
 
Et voilà la tentation mal en point! Le chef va triompher. C’est qu’en fait il possède une autorité formidable. Ne représente-t-il pas votre désir le plus précieux, vos tendances les plus profondes? C’est d’ailleurs pourquoi vous commencez à pressentir la satisfaction du devoir accompli.
 
– Hélas! dites-vous, je ressens aussi un peu le regret d’avoir été obligé de renoncer à ce qui m’aurait amusé, un instant peut-être!
 
Ça, c’est le dernier cri de révolte, de haine, des subordonnés qui battent en retraite. Moquez-vous de ces impuissantes clameurs, de ces vaines récriminations. Dans cinq minutes, ou demain matin, vous ne les entendrez plus.
 
Aussi je vous dis: Courage! Fermez les poings, serrez les dents, ralentissez le rythme de votre respiration pour mieux vous concentrer. Poussez ensuite un profond soupir, placez tout votre organisme en état de contraction, bombez le torse, raidissez vos mollets, allez même, s’il le faut, jusqu’à mettre vos orteils en extension. Tout cela obligera vos glandes thyroïde et surrénale à sécréter. Maintenez, coûte que coûte, devant votre esprit les idées qui doivent triompher. Intensifiez l’attention. Enrichissez vos émotions en les rendant plus concrètes encore. Mettez-vous en colère, bousculez les obstacles. Poussez! Prenez votre élan… Et sautez! [3]
 
Ça y est! La tentation est vaincue. Vous voici promu général en chef de votre âme! Félicitations!
 
Maintenant que la crise est passée, laissez-moi vous dire que votre effort eut été beaucoup moins pénible, et plus efficace, si vous vous étiez préparé à cet exercice de gymnastique mentale. Mais oui, on s’entraîne à l’effort comme à la course à pied. Celui qui arrange son existence de manière à s’éviter les rudes décisions se condamne d’abord à une existence de mollusque et, ensuite, se trouve désemparé et impuissant le jour où les circonstances exigent de lui une décision courageuse.
 
Habituez-vous donc à accomplir des efforts de tous ordres. Il n’est pas nécessaire que leur but soit de bouleverser l’Univers, ni même votre vie; les obligations de votre profession et les menus incidents journaliers vous fourniront maintes occasions de faire un effort. Interrogez-vous sincèrement; c’est à chaque heure de la journée que vous esquivez l’effort de faire une course, de voir une personne ennuyeuse, d’écrire une lettre, d’affronter une petite difficulté, de recoudre un bouton à votre culotte, de vous lever de votre chaise pour fermer une porte, de prononcer la parole qui conviendrait, de dire: «ce n’est pas la peine» pour vous excuser de rester inerte. Ah! Cette «peine» hypothétique qu’il faut s’épargner! Que d’abdications et de lâches fuites ne provoque-t-elle pas! Si vous cédez trop facilement à cet appel de la mollesse, le chef qui commande en vous finira par dire: «Après tout, je m’en fiche!… Je dors!…» Et il prendra sa retraite, tout comme un vieux général perclus et fatigué. Votre femme ou vos amis diront de vous: «Il est incapable du moindre effort!» Ce qui n’arrangera pas vos affaires.
 
Imposez-vous donc l’obligation d’accomplir un ou plusieurs efforts quotidiens que vous exécuterez, même sans nécessité, pour le seul plaisir de faire jouer les muscles de votre volonté. [4] Cela vous maintiendra en condition. Grâce à ces exercices, le chef qui doit assumer la responsabilité de votre machine à vivre, fera son métier, c’est-à-dire qu’il vous récompensera ou vous punira selon vos mérites. La récompense, c’est votre conscience jouissant de son harmonie, de sa sérénité, de sa dignité, de son pouvoir sur elle-même: le bonheur, quoi! La punition, c’est l’échec, le regret, le remords, le désespoir, la bouche amère: le malheur, quoi.
 
Acceptez donc l’autorité qui vous commande l’effort. Elle représente les parties supérieures de votre âme. Quand sa voix retentit, que ce soit pour vous ordonner de «prendre la peine» d’étudier la page aride d’un livre, ou de brosser vos chaussures, ne protestez pas, ne faites pas le sourd. Tout de suite debout, au garde-à-vous, comme un bon soldat du Devoir, répondez: «Oui, mon Général!» Et vous serez content, puisque le général, c’est vous.
 
NOTES:
 
[1] Fluide volontaire: c’est-à-dire fluide magnétique, un concept important en théosophie. (CCA)
 
[2] Voir «Le Carnet de Volonté». (CCA)
 
[3] Nous voyons ici la participation directe des processus corporels aux états de conscience,  un fait qu’un théosophe ne devrait jamais oublier. (CCA)
 
[4] Autrement dit, la satisfaction de produire du fluide magnétique volontaire, qui restera comme une réserve morale. (CCA)
 
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Le texte “Effort – Comment on Résiste à une Tentation” est reproduit du livre  «Dictionnaire de la Volonté», de Jean des Vignes Rouges, Éditions J. Oliven, Paris, 320 pp., 1945, pp. 108-114. L’article  a été publié sur les sites Internet de la Loge Indépendante des Théosophes le 08 décembre 2024.
 
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