L’Intuition, le Flair,
C’est l’Aventure de la Pensée
Jean des Vignes Rouges
Les Miracles du Flair
– Moi, déclare un lecteur, j’ai un moyen bien simple pour concilier tous les «pour» et tous les «contre»; je me fier à mon flair.
C’est une manière d’opérer qui a sa valeur. Mais là encore j’estime que vous avez intérêt à approfondir la notion confuse que l’on a généralement sur ce phénomène: le flair. Pour faire cette étude, envisageons un cas concret.
– La hausse s’amorce, dit cet homme, je la sens, je la flaire. Aussi j’achète aujourd’hui pour revendre demain avec bénéfice.
Cependant son voisin, non moins certain de son flair aussi, vend pour racheter ensuite à des cours plus bas.
Faut-il considérer ces deux personnages comme des joueurs que le hasard seul départagera? Pas toujours! La preuve en est fournie par la «chance» persistante de l’un et la «guigne» obstinée de l’autre; en constatant ce fait nous sommes donc fondé à croire qu’il existe vraiment des individus doués de la capacité de prospecter efficacement l’avenir.
Par quels procédés psychiques l’homme qui a du flair arrive-t-il à pressentir ce qu’il faut dire et faire pour réussir? Aucun calcul ne semble le guider. Chose curieuse! Il ne paraît même pas faire un effort de réflexion avant d’agir. Lorsqu’il se trouve en une situation difficile, on le voit tout à coup humer le vent … Cela suffi. Une idée surgit en son esprit. Et c’est la bonne! Le voilà parti, comme un chien de race, sur la piste du gibier.
Témoins de ce miracle, bien des naïfs s’exclament alors: «Quelle excellente méthode! Foin des raisonnements, des plans, des déductions, des calculs! Toutes ces opérations mentales sont longues, compliquées, assommantes et finalement n’inspirent que des hésitations sans fin. Tandis que le coup de foudre du flair éclaire instantanément les situations les plus troubles, excite à l’audace, pousse vers l’avant. Vive le flair grâce à qui la vérité toute nue m’apparaît belle et pure!»
Oui, seulement quand on observe de plus près le comportement et surtout la réussite de ces enthousiastes, on s’aperçoit que ce sont des hurluberlus qui vont infailliblement se cogner à tous les becs de gaz.
Avant de se fier à son flair, il est donc bon de vérifier la qualité de l’instrument. Cette propension à accepter avec joie les suggestions du flair ne serait-elle pas l’indice d’un caractère fantaisiste? C’est si amusant de décider en s’abritant sous l’autorité de l’inspiration … jusqu’au jour où l’on s’aperçoit qu’on a baptisé flair une impulsivité incohérente ou une répulsion tenace pour l’effort de réflexion.
Un examen de conscience mené sincèrement et basé sur les événements de votre existence passée vous conduira à vérifier l’acuité et la portée de votre flair. Il serait alors bien étonnant que vous ne soyez pas contraint à admettre que cette précieuse faculté a tout de même besoin d’être surveillée, contrôlée par la raison.
Telle est bien, hélas! – la réalité. Je dis hélas! – car nous savons tous que la raison elle-même est un instrument imparfait. Devant la complexité de la vie, la logique raisonneuse est obligée souvent d’avouer son impuissance. Elle ne peut pas embrasser toutes les données de la plupart des problèmes qui se posent à nous. Et c’est bien pourquoi d’ailleurs qu’après subi les affres de la perplexité, nous nous en remettons si souvent à notre flair. Cependant, ce serait folie de mépriser cet instrument de succès qu’est l’intelligence.
Alors, comment concilier les choses, harmoniser ces vues contradictoires? Voici: il faut considérer le flair comme l’expression de la poussée vitale et de la conscience claire comme une machine à trier les idées surgies en tumulte de l’inconscient.
Le Mécanisme du Flair
Représentez-vous donc, approximativement, le mécanisme du flair efficace de la façon suivante. D’abord un dynamisme vital analogue à un instinct qui, sous la nécessité impérieuse d’une adaptation réclamée par les circonstances, fait bouillonner l’inconscient et jaillir les idées par génération spontanée. Cette effervescence confuse se coule en des structures de neurones qui lui donnent des formes. Ensuite cette décharge psychique monte à la conscience et se traduit alors par des pensées claires.
Si l’homme manque d’expérience, si sa mémoire ne lui fournit pas des références capables de jouer le rôle de freins ou des points de comparaison permettant à son jugement de s’exercer; si une passion l’excite avec excès comme l’ambition, l’amour du gain, l’orgueil, le désir de vengeance, les idées qui surgissent dans sa conscience, filles de sa sensibilité, l’éblouissent à tel point qu’il s’écrie en les voyant: «Je les aime, je les adopte … Mon flair me guide! …» Et l’homme fait une bêtise, à moins que le hasard – qui est parfois bon prince – ne le favorise.
Mais si cet individu est «un vieux routier des affaires», le drame psychique se déroule différemment. A peine les énergies inconscientes se sont-elles mises en mouvement qu’elles rencontrent dans l’arrière-fond de l’âme toute une zone qui a été «structurée», elle, par l’expérience, la pratique des affaires. L’homme a saigné parfois sous les échecs, à d’autres moments il a connu les ivresses du triomphe. Cela a laissé en lui des traces qui ne restent pas inertes; son âme est marquée par le passé, constamment prête à s’éveiller, à vibrer, à entrer en rumeur, à inventer des idées qui s’emploieront à éviter la souffrance ou à guider vers le plaisir du succès. Cet homme-là, lui, peut se fier à son flair. Aussitôt qu’une idée se présente à son esprit, elle est classée, appréciée, adoptée ou rejetée, jugée instantanément. La conscience claire a fonctionné comme un filtre perfectionné, arrêtant les impuretés et laissant passer les idées saines.
D’où je conclus: si vous êtes débutant dans la vie et les affaires, ne vous targuez pas imprudemment de votre «flair», sinon bon nombre de vos décisions risqueraient fort d’être inadéquates. Ayez le courage de reconnaître qu’en certaines circonstances le vrai flair consiste à découvrir la valeur des avis que certains vieux bonshommes compétents et loyaux égrènent en bavardant … à propos de tout et de rien … de psychologie, par exemple! …
Le Rôle du Flair dans la Vie Quotidienne
«Merci pour le conseil, dites-vous. Mais faut-il donc que j’attende d’être octogénaire pour me fier à mon flair?»
Non, je ne pousse pas l’ironie jusqu’à cette cruauté. C’est pourquoi je vais vous montrer un domaine où il vous sera loisible d’exercer votre flair sans faire preuve d’une excessive témérité. C’est le champ d’action des relations humaines directes, c’est-à-dire les innombrables circonstances dans lesquelles, ayant en face de vous un ou plusieurs interlocuteurs, vous vous demandez quelle est la meilleure conduite à tenir?
Examinons quelques cas concrets. Une vague conversation se déroule autour de vous. Rien dans ces propos banaux ne semble devoir intéresser votre réussite dans la vie; vous parlez, vous écoutez, vous souriez comme un brave garçon qui se distrait, se détend, s’amuse.
Tout à coup, un des causeurs apporte une information, émet une idée neuve, donne un avis que personne ne remarque, mais qui vous fait dresser l’oreille. Une évocation d’idées se forme en votre conscience, vos réflexions sont soudain orientées vers des possibilités d’action, de gain, de réussite auxquelles vous n’avez jamais songé jusqu’alors. Un des causeurs manifeste-t-il son inquiétude sur la «situation sociale présente»? Immédiatement vous pressentez la vague de pessimisme qui demain secouera la ville ou la nation et vous imaginez quel parti vous pouvez tirer de cette précision pour la conduite de vos affaires.
Une autre fois, c’est l’annonce d’un mariage, d’une naissance, d’un deuil dans une famille ou un «potin» concernant une mésentente conjugale qui vous «ouvrira des perspectives». Et je n’envisage pas seulement le cas où vous guettez les avis de décès dans l’espoir de louer aussitôt l’appartement du de cujus. En fait, la dépendance mutuelle des hommes est si étroite que tout événement qui touche l’un se répercute, plus au moins directement, sur les autres. Que de jeunes gens ont eu la «veine» de trouver une situation parce que le hasard d’une rencontre leur avait fait connaître un emploi vacant.
Chaque individu, à qui vous parlez, peut donc devenir pour vous la cause plus ou moins directe d’une réussite. Si vous avez du flair vous découvrirez cette secrète filiation entre vos succès futurs et cet homme.
Souvent d’ailleurs le flair porte fruit plus immédiatement. Êtes-vous, par exemple, en train de convaincre quelqu’un qu’il doit vous acheter ou vous vendre quelque chose? Il vous importe alors de connaître l’intensité de la tentation que suscite votre offre. Sans doute, les chiffres, le cours, les tarifs sont d’excellents moyens de mesure, mais combien vous sera plus utile encore le pressentiment que vous aurez de la limite des «exigences» que vous pouvez manifester sans volatiliser le désir de vendre ou d’acheter de votre partenaire.
Parfois un petit geste, un infime tressaillement de paupières vous fera comprendre une lassitude, une intention d’abandonner l’affaire. Votre flair vous a renseigné, vous modifiez vos prétentions.
Flairer le Danger
En d’autres circonstances, le flair agit de façon plus mystérieuse encore. L’individu que nous abordons pour la première fois nous donne l’impression d’un danger obscure. Il nous semble qu’en nous engageant avec lui nous avançons sur un terrain mouvant, nous flairons la déloyauté, la fourberie. Une sorte de voix intérieure nous crie: «Attention!… Casse-cou!…»
Ces «avertissements» peuvent n’être que des illusions de l’imagination mise en mouvement par une crainte exagérée. Mais si nous avons un flair un peu exercé, que de fois nous nous félicitons d’avoir obéi à ces avertissements.
C’est aussi par flair que vous devinez les jalousies latentes de vos «amis», les haines parées de sourires, les indifférences camouflées en bienveillance, les faiblesses dissimulées sous les apparences de la force.
Comme la faune humaine apparaît variée et pathétique lorsqu’on l’explore avec le flair! Ce vaniteux qui veut m’éblouir par son faste, il n’est, en fait, qu’un «pauvre type» tremblant d’inquiétude. Cet homme si calme, si pondéré, si raisonnable, je devine que la frénésie de jouir l’agite, il est prêt à gaspiller une fortune pour satisfaire son appétit de volupté. Quant à celui-ci, sur le visage duquel un sourire grimace, je le sens harcelé de regrets, de remords peut-être. Il souffre et aspire à faire souffrir les autres pour se soulager.
Rien qu’à la façon dont votre patron vous a rendu votre salut ce matin, n’avez-vous pas pensé: «Tiens! Il est d’humeur abordable aujourd’hui. Si je lui présentais ma petite requête?…»
Comme on le voit, l’activité du flair est de tous les instants. C’est elle qui inspire nos sympathies, nos amitiés, nos répulsions, nos haines, les joies, les espoirs, les amertumes, les regrets des gens que nous rencontrons et dont dépendent notre bonheur et notre réussite.
Reconnaissons aussi que l’exercice de notre flair nous place parfois en des situations où nous ne savons plus où est notre devoir. Par exemple, vous rencontrez un malchanceux. Au premier contact vous l’avez identifié et, tout de suite, si vous êtes un féroce arriviste ou un superstitieux, vous songez qu’il convient de fuir cet individu, ce porte-guigne qui a «le mauvais œil». C’est peut-être le moment e contrôler plus étroitement ce jugement instantané. Un flair plus aiguisé vous suggérera que ce malchanceux est un «bon bougre» dont il convient d’avoir pitié, car sa gratitude peut devenir précieuse dans l’avenir.
Le Flair Appliqué a la «Conjoncture»
Quand le flair vise à imaginer des événements futurs qui dépendent de la conjoncture économique, de la politique, des courants d’opinion dans les collectivités, de l’état atmosphérique, des influences cosmiques, des combinaisons de la spéculation boursière, etc., il convient d’attribuer aux suggestions qu’il apporte une cote de crédibilité beaucoup plus réduite.
Cependant, là encore, l’homme expérimenté peut, faute d’autres moyens de décisions, se laisser guider par son flair. Aux questions qu’il se pose: «Quels obstacles je risque de rencontrer sur ma route? Quels appuis trouverai-je pour réaliser mes desseins?», il a chance de répondre efficacement avec une approximation suffisante si son flair repose sur une philosophie de vie basée sur la réalité.
Avoir une philosophie! Cela signifie qu’on a pris l’habitude de juger les gens, les choses, les événements en se plaçant à un certain point de vue, en se référant à des principes admis comme vrais une fois pour toutes.
Vous avez une philosophie de la vie si, par exemple, vous croyez fermement que le travail assidu et la loyauté sont les grands éléments du succès. Vous avez une autre philosophie si vous imaginez que la fortune n’appartient qu’aux audacieux et qu’il convient de la solliciter par le jeu. Dans ce dernier cas je dois vous prévenir qu’une vieille expérience humaine fréquemment vérifiée proclame que le flair du joueur le conduit souvent à la ruine.
Efforcez-vous donc d’imprégner votre esprit d’une philosophie de la vie qui a fait ses preuves d’efficacité Si vous y réussissez, vous arrivez sans peine à formuler des jugements spontanés capables de résoudre les problèmes que la vie vous posera. On rencontre ainsi des hommes qui réalisent eu eux une harmonie parfaite entre l’habileté en affaires et la loyauté. Leur jugement spontané s’inspire de cette harmonieuse synthèse. Ce sont des hommes dont on vante à la fois le «flair épatant» et «l’honorabilité indiscutable». Quels atouts pour gagner la partie!
La Culture du Flair
Quelle attitude mentale prendre pour développer, aiguiser le flair?
Avouons que les psychologues n’ont pas encore su imaginer une méthode d’entraînement au flair analogue à celle qu’emploient les professeurs de gymnastique pour faire grossir les biceps. Cependant il semble que cet accord subtil et spontané entre notre comportement et les conditions du succès soit favorisé lorsque notre esprit est dans un état d’attente spécial qui le rend apte à pratiquer cette opération que l’on nommé «saisir la fortune par les cheveux».
L’homme qui a du flair n’est pas, en général, celui qui reste inerte, contemplatif, passif, sans désirs. Non, au contraire. Si vous voulez cultiver votre capacité de flair, maintenez votre esprit dans un état de vigilance, d’attente. Soyez aux aguets de l’occasion favorable qui va passer. Mieux même, allez au-devant d’elle. Intéressez-vous aux gens, aux choses, aux événements, participez pleinement à la vie sociale, intégrez-vous au courant de la vie, poussez vos antennes partout. Écoutez, regardez, flairez. En un mot, fourrez-vous au cœur de la réalité.
Évidemment cela implique que vous ne ressemblerez en rien à ces gens guindés, craintifs, empotés, susceptibles, repliés sur eux-mêmes dont le souci principal est de couper les ponts avec les voisins afin de préserver leur âme délicate de tout contact impur. Vous serez plutôt celui qui rétablit les ponts, comble les fossés, multiplie les points de contact avec le monde extérieur.
Bien entendu cette attitude de l’âme ouverte est également incompatible avec celle de la hargne critique qui refuse toute communion joyeuse avec ses semblables et flair partout des ennemis à combattre.
Est-ce à dire que vous serez constamment à l’affût de la bonne affaire et en train de vous interroger afin de savoir comment utiliser les gens et les circonstances? Non. Cet état d’esprit, vite perçu par ceux qui vous aborderont, – car ils ont un flair aussi, – vous rendrait odieux à tout le monde. «C’est un féroce arriviste, un redoutable affairiste», dirait-on de vous, et vous exciteriez une méfiance incoercible.
Aussi, quand je parle de cette attitude d’attente qui aiguise le flair, faut-il comprendre une tension de l’âme plus discrète, plus souterraine, disons le mot, presque inconsciente.
Creusons encore davantage l’analyse; le flair apparaît alors comme la capacité de se forger spontanément une notion de ce qui va bientôt vivre. Je dis «vivre». Et c’est important, car ce mot fait comprendre qu’il s’agit de se projeter dans l’avenir soi-même, tout entier et pour ainsi dire aggloméré, fondu avec l’événement futur. Cette opération mentale n’est pas si compliquée qu’on pourrait le croire. Ne vous est-il pas arrivé de recevoir une proposition telle que soudain, sans aucune réflexion préalable, vous répondiez: «Ah, non, je ne marche pas. Si je vous écoutais, je serais en de beaux draps! …»
Cela signifie que vous avez eu spontanément la vision de votre personne «en de beaux draps», en proie à des soucis, des embêtements de toutes sortes. Cette image était l’événement futur vécu, c’est-à-dire installé dans votre esprit avec la chaleur, la couleur de la vie, et c’est pourquoi il suscitait cet élan vital qu’on appelle le flair efficace.
Quand je vous conseille d’être en état d’attente pour empoigner la fortune par les cheveux, c’est donc un certain état émotionnel latent que je vous invite à conserver en vous, grâce à quoi le futur réagit sur votre esprit.
En d’autres termes, le flair c’est l’expression de toute votre personnalité adaptée instantanément aux circonstances futures.
Quelques Recettes Pratiques Pour
Assurer le Bon Fonctionnement du Flair
Prenez vos décisions à jeun. C’est, dit-on, la faim qui fait sortir le loup du bois. L’homme aussi sort de sa torpeur, invente, devient ingénieux, a du flair lorsqu’il a l’estomac vide. Le repu digère en somnolant et n’a pas d’initiative. Si vous avez un peu faim – pas trop – le monde vous apparaîtra comme une proie palpitante. Votre esprit sera aux aguets pour la saisir. Avec quelle lucidité vous inventerez alors des «moyens de réussite»!
Songez à ces enfants de famille pauvre qui ont conquis brillamment la fortune, la gloire, la science; à l’origine de leur génie, il y a la faim. Méfiez-vous donc des inspirations de votre flair lorsqu’il s’exerce «entre la poire et le fromage» d’un bon déjeuner d’affaires qu’on vous offre. Attendez pour en communiquer les résultats à autrui d’avoir digéré.
Cependant n’exagérez pas le jeûne. Le flair fonctionne mal lorsque nous sommes en état de dépression physique ou sous le coup d’un échec récent. L’appauvrissement de vitalité qui en résulte rend molles les antennes psychiques où ne fournit que de chimériques rêves consolateurs.
Si vous êtes dans ce cas, ayez le courage de reconnaître que votre flair est de mauvaise qualité. Attendez que vos énergies se reconstituent. C’est alors que, armé de votre savoir, de votre expérience, de votre appétit de vivre, vous pourrez, avec la fougue de l’instinct créateur, enfanter une image de l’avenir resplendissante de vérité.
Votre flair vous a induit à faire une sottise! Ne vous frappez pas à coups redoublés sur la poitrine, vous créeriez en vous un complexe de culpabilité qui paralyserait votre confiance en vous-même.
Soyez assez philosophe pour reconnaître que le flair – l’intuition – c’est «l’aventure de la pensée». Or toutes les aventures ne finissent pas heureusement. Résignez-vous à cette incertitude. La vie d’un homme ne peut pas se développer comme un théorème.
Faut-il Envisager le Pire?
Je recevais la visite d’un jeune homme venu me demander conseil à propos des chances de réussite qu’il pouvait espérer dans une carrière artistique.
Naturellement son projet lui plaisait infiniment. Devenir un artiste glorieux! Qui n’a rêvé, dans sa jeunesse, d’atteindre à ce sommet! C’est beaucoup plus amusant que d’apprendre un métier manuel, même très lucratif. Puisque les parents sont encore là, prêts à subventionner le postulant à la gloire, qu’il en profite donc!
Seulement il arrive que les parents se fatiguent et se demandent s’il ne serait pas sage d’inviter leur fils à prendre une vue plus réaliste sur la manière de gagner son pain.
C’était précisément le cas psychologique de mon visiteur et, après examen de la situation, j’inclinais à me ranger à l’opinion des parents.
– Vous devriez songer, dis-je, au cas où vos espoirs artistiques ne se réaliseraient pas et examiner quel autre métier vous plairait.
– Comment, s’écria-t-il, c’est vous qui me dites cela?… Vous, l’éloquent excitateur de la volonté? Mais si j’envisageais le renoncement, la défaite possible de mes ambitions, j’installerais ainsi en moi le ver rongeur du doute. Je préparerais mon échec… Ah! Non… Je me lance en avant, je coupe tous les ponts derrière moi, je ne veux envisager aucune position de repli. Ainsi je me forcerai à réussir.
– Bravo! Dis-je. Mais alors êtes-vous prêt à manger de la vache enragée pendant de nombreuses années, toute votre vie peut-être? Aurez-vous le courage d’accepter la misère sans récriminer? Avez-vous vraiment le tempérament du joueur qui risque tout allégrement, même sa vie?
Et je continuai sur ce ton longtemps, car j’estimais que tel était mon devoir.
En effet, en des situations de ce genre, le refus d’un jeune homme d’envisager le pire est souvent la preuve d’une carence foncière de la volonté. En fait, il n’a pas la force de s’arracher à ses illusions parfois entretenues secrètement par des dispositions organiques à la paresse. Il refuse de regarder en face la réalité parce que celle-ci lui fait peur. Les hypothèses qui contrarient sa chimère l’importunant, d’un geste infantile il les écarte. C’est la politique de l’autruche qui se cache la tête dans le sable pour ne pas voir le péril.
Il me faut donc le répéter: la volonté vraie, éclairée, raisonnable est celle du général génial qui organise tout pour assurer la victoire, qui y croit passionnément, l’annonce comme certaine à ses troupes, mais qui, en même temps, prévoit toutes les éventualités, même les pires, car il sait qu’à la guerre il faut toujours faire sa révérence au dieu Hasard. C’est la base de toute stratégie, y compris celle du comportement dans la vie.
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Le texte «Le Rendement du Flair» est reproduit du livre «Les Qualités Qui Font Réussir», de Jean des Vignes Rouges, Paris, Amiot Dumont, 1951, 223 pp., voir pp. 139-151. L’article a été publié sur les sites Internet de la Loge Indépendante des Théosophes le 28 Novembre 2024.
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